Conseil départemental des Bouches-du-Rhône

Camp des Milles, la culture fait de la résistance

Entre 1939 et 1942, le Camp des Milles a été tour à tour camp d’internement puis de déportation. Ici, 10 000 personnes sont passées et plus de 2 000 n’en sont pas revenues. Et malgré les conditions de vie désastreuses, la culture a été une arme de lutte parfois salutaire.

Résistance. C’est ce qui reste en mémoire en sortant du Camp des Milles situé entre Aix-en-Provence et Marseille. Ici, en 1939, alors qu’Hitler déclare la guerre au monde, cette tuilerie devient un camp d’internement des ressortissants du Reich, qui ont pourtant fui leur pays. Intellectuels, artistes, écrivains sont internés comme “sujets ennemis à la France” par le gouvernement français toujours en guerre. C’est le début d’une histoire dont le déroulé est fonction des soubresauts du pays.


3 500 PERSONNES ENTASSÉES DANS DES CONDITIONS DÉSASTREUSES

En 1940, avec l’arrivée au pouvoir de Pétain et la signature de l’armistice, les opposants au Reich deviennent les ennemis de la France... collaboratrice ! Leur statut d’interné se mue en celui de prisonnier. Chaque jour, le nombre augmente, jusqu’à compter 3 500 hommes en même temps. La promiscuité est partout et très vite, les conditions de vie et d’hygiène se dégradent : la nourriture devient rare, la vermine se propage et les maladies se multiplient.


RÉSISTANCE CULTURELLE

Pourtant, la vie dans le centre s’organise aussi autour d’actes de résistance intellectuelle et culturelle. Sculpteurs, peintres ou dessinateurs font montre de leur talent au travers des œuvres artistiques dont bon nombre sont encore visibles de nos jours. Mais derrière leur côté comique se cachent bien souvent le sarcasme de la situation, et la dénonciation de la guerre.


“DIE KATAKOMBE” LE CABARET SATIRIQUE

La trace peut-être la plus emblématique se trouve au rez-de-chaussée du camp, dans un four à tuiles. Au-dessus de l’entrée voûtée, une inscription : “Die Katakombe”.
À l’intérieur, des bancs... et une scène ! Il s’agit de la reconstitution d’un cabaret berlinois contestataire fermé par Goebbels. Tous les soirs, dans une atmosphère que l’on imagine effroyable, les artistes défilent sur scène : des opéras y sont chantés, des pièces de théâtre y sont détournées, des concerts y sont donnés, la vie culturelle contre la mort des corps.


CINQ CONVOIS... 2 000 DÉPORTÉS

Le pire est pourtant à venir. Entre août et septembre 1942, le Camp des Milles change brutalement de statut et devient un lieu de déportation des juifs déjà internés ou raflés dans la région. En 5 semaines et 5 convois, 2 000 personnes seront envoyées à Auschwitz via les camps de Drancy et de Rivesaltes. Parmi eux, une centaine d’enfants et d’adolescents. Le plus jeune avait un an. Des enfants livrés sur ordre de Pierre Laval, chef du gouvernement pétainiste. Un document encore visible atteste que les Allemands ne les avaient pas réclamés...

En décembre 1942, avec l’évacuation des derniers prisonniers, le Camp fermera définitivement ses portes sur son histoire tragique. Plus de 10 000 personnes y seront passées. Une histoire encore présente que les témoins du passé ont gravé sur les murs.

Ironie du sort ou preuve d’idéologie collaboratrice, le Camp a toujours été encadré par des Français, en zone non occupée sous l'autorité de Vichy.

"COMPRENDRE POUR AGIR"

“Au-delà du témoignage, notre travail au Camp des Milles est de voir comment le passé peut éclairer le présent, et anticiper des mécanismes qui ont conduit à des génocides. Des mécanismes basés sur des comportements humains, individuels, collectifs ou institutionnels, menant en quelques étapes d’un racisme “ordinaire” au pire, avec la remise en cause des valeurs démocratiques. En France, la démocratie est sur une ligne de crête, avec des situations tendues qui peuvent amener à un basculement autoritaire. Heureusement, nous pouvons encore tous agir à temps pour y résister et rester fidèles à nos valeurs d’apaisement et de vivre ensemble”.

Alain Chouraqui
Directeur de recherche émérite au CNRS Président de la Fondation du Camp des Milles - Mémoire et Éducation

HERBERT TRAUBE, RESCAPÉ DU CAMP

En 1939, Herbert Traube a 14 ans. Ce jeune juif autrichien va fuir son pays pour un terrible périple qui le conduira de camp en camp. À celui de Rivesaltes, sa mère décèdera par manque de soins. Il s’en évade mais en 1942, il est pris dans une rafle et interné au Camp des Milles où il va rester quelques temps. Envoyé à Auschwitz, il s’évade du train et rejoint la Résistance. Installé en France, il sera ingénieur et élu municipal dans le sud. En mémoire de ceux qui ne sont pas revenus il a témoigné toute sa vie pour raconter son histoire.

“Une odyssée peu commune de Vienne à Menton”
H. Traube
Éd. Camp des Milles