Moins connu que celui de Normandie, le Débarquement de Provence, le 15 août 1944, a pourtant changé le cours de la Seconde Guerre Mondiale, en permettant aux Alliés de libérer Toulon, Marseille et la Vallée du Rhône. 80 ans plus tard, celles et ceux qui l'ont vécu nous livrent leurs précieux souvenirs.
« Cette année, nous célébrons le 80e anniversaire du Débarquement de Provence. Une date historique pour notre territoire. À cette occasion, le Département s’est associé à Énergie Solidaire 13 pour recueillir des témoignages inestimables. Je tiens à remercier chaleureusement les adhérents des Maisons du Bel Âge et de l’ES 13 qui ont accepté de rouvrir ce douloureux chapitre pour qu’il ne tombe jamais dans l’oubli. »
Martine VASSAL
Présidente du Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône
Présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence
1ère Vice-Présidente de Départements de France
TÉMOIGNAGES
Gilberte
“Nous sommes retournés chez nous avec beaucoup de joie”
J’habitais à La Ciotat et j’avais 10 ans et demi. Pendant l’été 44, mes parents écoutaient la radio de façon clandestine, et je me souviens de mes voisins en train de dire “Oh, ça y est, ils ont débarqué vers Bormes-les-Mimosas !”. À ce moment-là, nous avons retrouvé un peu d’espoir, parce que nous pouvions enfin rejoindre notre habitation. Quand les Allemands sont partis, nous sommes retournés chez nous avec beaucoup de joie. Nous avons aussi retrouvé notre port, notre école jusqu’alors réquisitionnée. Nous étions très contents. Enfin, ça allait être fini ! On voyait tous ces Américains qui nous distribuaient généreusement des poignées de bonbons, des chocolats, des choses que nous n’avions plus vues depuis le début de la guerre. C’était une ambiance joyeuse.
Albert
“La vie est belle, il faut en profiter”
Pendant la guerre, j’habitais rue Sainte-Eugénie à Marseille. J’ai été raflé sur le Vieux-Port direction Ludwigshafen en Allemagne, pour le motif “service obligatoire du travail”. En réalité, j’ai été réduit en esclavage. Ce camp nazi et son usine ont été complètement rasés, j’ai subi plus de 100 bombardements. Quand je suis parti du camp, je marchais sur les décombres. Croyez-moi, cela vous met à plat. J’ai encore les bombardements en tête, je ne peux même pas regarder l’actualité avec la guerre en Ukraine. La vie est belle, il faut en profiter, ces guerres servent juste à démonter le monde.
Rosine
“J’ai perdu ma mère et l’un de mes frères”
J’avais 21 ans et j’habitais quartier de La Gavotte, aux Pennes-Mirabeau. Je me souviens bien de mon quotidien. Je faisais le ménage chez les gens, je cousais beaucoup, je m’occupais des enfants et des personnes âgées. J’ai énormément souffert de la faim pendant la guerre et j’ai manqué d’argent. Et puis j’ai perdu ma mère et l’un de mes frères, alors j’ai dû faire preuve de beaucoup de sang-froid, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Je suis résistante et je ne m’écoute pas. Je fonce, et j’ai la joie de vivre.
Joséphine
“Mon père avait fait un abri dans la propriété”
J’habitais Saint-Tronc à Marseille en 1944. J’avais 12 ans. Mon père travaillait chez un horticulteur, et nous avions des poules, des lapins, un cochon. On nous l’a volé d’ailleurs. C’était la vie de campagne. Mon père avait fait un abri dans la propriété, on allait s’y réfugier en cas d’alerte. Mes parents me donnaient des tickets de pain et j’allais acheter une grosse miche pour toute la famille quand je le pouvais. Un jour, ma cousine en a mangé la moitié tellement elle avait faim.
Paulette
“Un Allemand tué, moi prendre cinq Français”
Je suis né à Plan d’Orgon, j’avais 14 ans en 44.
On a manqué 8 jours de pain, heureusement qu’on avait un jardin avec des légumes. On allait à l’école une semaine sur deux, un coup les filles, un coup les garçons, car l’école était occupée. Un jour, des Allemands arrivent à la maison, l’un deux parlait bien français et dit “Un Allemand tué, moi prendre cinq Français”, avec des grenades dans les bottes. Je me rappelle aussi des Américains qui nous lançaient les chewing-gums.
L'interview de Robert Mencherini, historien
" Même si le Débarquement de Provence représente le 2e Débarquement en France, il est très loin d'être secondaire. Pour le général Eisenhower, la prise de Marseille a joué un rôle essentiel dans la victoire finale. "
L’ANNÉE 1944 CONSTITUE UN VÉRITABLE TOURNANT DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE. QUELLES ÉTAIENT LES CONDITIONS DE VIE DES PROVENÇAUX ?
La guerre domine toutes les pensées. Au quotidien, les gens ont faim et vivent dans des conditions extrêmement difficiles à cause des pénuries. Ils ont deux préoccupations en tête : trouver à manger et assister à la fin de la guerre.
En suivant l’actualité, ils entretiennent l’espoir d’une issue favorable depuis le débarquement des Alliés au Maroc et en Algérie, alors sous contrôle du régime de Vichy. Grâce à cette opération couronnée de succès, les Provençaux s’attendent à ce que le débarquement ait lieu en France à tout moment.
LE 6 JUIN, LES ALLIÉS DÉBARQUENT EN NORMANDIE. COMMENT LES PROVENÇAUX ONT-ILS RÉAGI ?
Le débarquement de Normandie du 6 juin 1944 marque un véritable tournant dans cette guerre. C'est le point de départ de la libération de la Provence. En apprenant la nouvelle, les Résistants se mobilisent par centaines et constituent des maquis autour de Lambesc, la Roque d’Anthéron, Jouques, Vauvenargues, Saint-Antonin-sur- Bayon, etc.
Mais ils sont malheureusement massacrés par l’oppression allemande. Sur ordre d’Hitler, toute tentative de résistance dans le Sud est étouffée car il lui faut absolument conserver les ports stratégiques de Marseille et Toulon. Afin de décourager les maquisards, une partie de la presse, aux ordres de Vichy, annonce que les Allemands ont réussi à repousser les Alliés sur les plages normandes. Il faudra attendre mi-août pour assister au débarquement de Provence.
JUSTEMENT, COMMENT S’EST-IL DÉROULÉ ?
Dans la nuit du 14 au 15 août, des commandos américains, canadiens et britanniques débarquent sur la côte varoise, en particulier les îles côtières de Port-Cros et du Levant, au large de Hyères. Des parachutistes sont également envoyés à l’intérieur des terres. Le 16 août, les troupes françaises du Maréchal de Lattre de Tassigny rejoignent le front, accompagnées de tirailleurs algériens et sénégalais et de goumiers marocains.
Au total, plus de 350 000 hommes, dont plus de 250 000 Français, sont déployés en Provence pour faire reculer les Allemands. Les Américains rejoignent les Alpes et la Vallée du Rhône, tandis que les Français se dirigent vers Toulon et Marseille. Mais avant d’arriver jusqu’à la cité phocéenne, ils doivent notamment “faire sauter le verrou d’Aubagne” où les Allemands sont postés. Le 21 août, une grosse bataille s’engage pour franchir cet obstacle.
COMMENT LES TROUPES SONT-ELLES PARVENUES À LIBÉRER MARSEILLE ?
Depuis quelques jours, Marseille est en insurrection et des affrontements ont lieu entre Résistants et Allemands avant même l’arrivée des troupes. Elles rejoignent Marseille le 23 août par la Penne-sur-Huveaune d’un côté, et par les collines des quartiers Nord de l’autre. Des discussions s’engagent entre les commandants des opérations pour déterminer s’il faut avancer jusqu’au centre-ville.
Le général de Monsabert* y est très favorable, car les hommes d’Hitler sont repliés sur des points stratégiques comme le fort Saint-Jean, le fort Saint-Nicolas et même Notre-Dame-de-la- Garde, qui sera très difficile à reprendre. Les combats font rage du 23 au 28 août, date de la capitulation allemande.
MALGRÉ LES SCÈNES DE LIESSE, LES PROVENÇAUX ONT-ILS POUR AUTANT RETROUVÉ UNE VIE “NORMALE” ?
Effectivement, le 29 août, un immense cortège de soldats descend la Canebière jusqu’au Vieux-Port : Français, Américains, Anglais, Tabors, Goumiers, Résistants... toutes les forces qui ont combattu pour la Libération de Marseille sont chaleureusement saluées par la foule. La joie était immense. Cette grande fête s’est même déroulée en présence des nouvelles autorités de l’époque, dont Raymond Aubrac, nommé commissaire régional de la République à Marseille par le général de Gaulle.
Pourtant, si les Provençaux s’imaginaient retrouver paix et prospérité, les pénuries vont durer très longtemps. Les tickets de rationnement ont continué à faire partie de leur quotidien jusque dans les années 50, notamment parce que les Allemands ont dynamité toutes les stations portuaires capables d’accueillir le ravitaillement nécessaire.
* Depuis 1981, le boulevard de la Libération à Marseille (4e) est devenu le “boulevard de la Libération - Général de Monsabert” .