Conseil départemental des Bouches-du-Rhône

Il y a 80 ans, les alliés débarquaient en Provence

Moins connu que celui de Normandie, le débarquement de Provence, le 15 août 1944, a pourtant changé le cours de la Seconde Guerre Mondiale, en permettant aux Alliés de libérer Marseille, Toulon et la Vallée du Rhône. L’historien Robert Mencherini revient sur ce temps fort de notre histoire, dont on fête le 80e anniversaire.

L’ANNÉE 1944 CONSTITUE UN VÉRITABLE TOURNANT DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE. QUELLES ÉTAIENT LES CONDITIONS DE VIE DES PROVENÇAUX ?

La guerre domine toutes les pensées. Au quotidien, les gens ont faim et vivent dans des conditions extrêmement difficiles à cause des pénuries. Ils ont deux préoccupations en tête : trouver à manger et assister à la fin de la guerre.

En suivant l’actualité, ils entretiennent l’espoir d’une issue favorable depuis le débarquement des Alliés au Maroc et en Algérie, alors sous contrôle du régime de Vichy. Grâce à cette opération couronnée de succès, les Provençaux s’attendent à ce que le débarquement ait lieu en France à tout moment.

 

LE 6 JUIN, LES ALLIÉS DÉBARQUENT EN NORMANDIE. COMMENT LES PROVENÇAUX ONT-ILS RÉAGI ?

Le débarquement de Normandie du 6 juin 1944 marque un véritable tournant dans cette guerre. C'est le point de départ de la libération de la Provence. En apprenant la nouvelle, les Résistants se mobilisent par centaines et constituent des maquis autour de Lambesc, la Roque d’Anthéron, Jouques, Vauvenargues, Saint-Antonin-sur- Bayon, etc.

Mais ils sont malheureusement massacrés par l’oppression allemande. Sur ordre d’Hitler, toute tentative de résistance dans le Sud est étouffée car il lui faut absolument conserver les ports stratégiques de Marseille et Toulon. Afin de décourager les maquisards, une partie de la presse, aux ordres de Vichy, annonce que les Allemands ont réussi à repousser les Alliés sur les plages normandes. Il faudra attendre mi-août pour assister au débarquement de Provence.

 

JUSTEMENT, COMMENT S’EST-IL DÉROULÉ ?

Dans la nuit du 14 au 15 août, des commandos américains, canadiens et britanniques débarquent sur la côte varoise, en particulier les îles côtières de Port-Cros et du Levant, au large de Hyères. Des parachutistes sont également envoyés à l’intérieur des terres. Le 16 août, les troupes françaises du Maréchal de Lattre de Tassigny rejoignent le front, accompagnées de tirailleurs algériens et sénégalais et de goumiers marocains.

Au total, plus de 350 000 hommes, dont plus de 250 000 Français, sont déployés en Provence pour faire reculer les Allemands. Les Américains rejoignent les Alpes et la Vallée du Rhône, tandis que les Français se dirigent vers Toulon et Marseille. Mais avant d’arriver jusqu’à la cité phocéenne, ils doivent notamment “faire sauter le verrou d’Aubagne” où les Allemands sont postés. Le 21 août, une grosse bataille s’engage pour franchir cet obstacle.

 

COMMENT LES TROUPES SONT-ELLES PARVENUES À LIBÉRER MARSEILLE ?

Depuis quelques jours, Marseille est en insurrection et des affrontements ont lieu entre Résistants et Allemands avant même l’arrivée des troupes. Elles rejoignent Marseille le 23 août par la Penne-sur-Huveaune d’un côté, et par les collines des quartiers Nord de l’autre. Des discussions s’engagent entre les commandants des opérations pour déterminer s’il faut avancer jusqu’au centre-ville.

Le général de Monsabert* y est très favorable, car les hommes d’Hitler sont repliés sur des points stratégiques comme le fort Saint-Jean, le fort Saint-Nicolas et même Notre-Dame-de-la- Garde, qui sera très difficile à reprendre. Les combats font rage du 23 au 28 août, date de la capitulation allemande.

 

MALGRÉ LES SCÈNES DE LIESSE, LES PROVENÇAUX ONT-ILS POUR AUTANT RETROUVÉ UNE VIE “NORMALE” ?

Effectivement, le 29 août, un immense cortège de soldats descend la Canebière jusqu’au Vieux-Port : Français, Américains, Anglais, Tabors, Goumiers, Résistants... toutes les forces qui ont combattu pour la Libération de Marseille sont chaleureusement saluées par la foule. La joie était immense. Cette grande fête s’est même déroulée en présence des nouvelles autorités de l’époque, dont Raymond Aubrac, nommé commissaire régional de la République à Marseille par le général de Gaulle.

Pourtant, si les Provençaux s’imaginaient retrouver paix et prospérité, les pénuries vont durer très longtemps. Les tickets de rationnement ont continué à faire partie de leur quotidien jusque dans les années 50, notamment parce que les Allemands ont dynamité toutes les stations portuaires capables d’accueillir le ravitaillement nécessaire.

* Depuis 1981, le boulevard de la Libération à Marseille (4e) est devenu le “boulevard de la Libération - Général de Monsabert” .

TÉMOIGNAGES

À l’occasion des 80 ans du débarquement de Provence, le Département et l’association Énergie Solidaire 13 (ES13) ont recueilli les témoignages de celles et ceux qui ont vécu la guerre. Entre la faim, les bombardements et la Libération, ils nous livrent un récit poignant de cette sombre période.

ALBERT

“Pendant la guerre, j’habitais rue Saint-Eugénie à Marseille et j’étais plombier de formation.
Puis le malheur est arrivé. J’ai été raflé par les nazis sur le Vieux-Port qui m’ont emmené vers Ludwigshafen en Allemagne, pour le motif “service obligatoire du travail”. En réalité, j’ai été réduit en esclavage. Ce camp nazi et son usine ont été complètement rasés, j’ai subi plus de 100 bombardements. Quand je suis parti du camp après 18 mois de travail forcé, je marchais sur les décombres. Croyez-moi, cela vous met à plat. J’ai encore les bombardements en tête, je ne peux même pas regarder l’actualité avec la guerre en Ukraine. La vie est belle, il faut en profiter, ces guerres servent juste à démonter le monde, à détruire la fraternité, c’est ignoble.”

SUZANNE

“En 1944, j’habitais à la Roque d’Anthéron.
J’avais 8 ans quand les Résistants se sont fait massacrer dans le maquis. Nous avons eu de la chance, car mes 5 frères ont réussi à s’en sortir. J’étais trop petite pour réaliser vraiment les choses, mais j’ai vu passer des charrettes de cadavres devant chez moi. À ce moment-là, de nombreuses maisons étaient détruites et les Allemands tuaient autant qu’ils pouvaient, c’était un carnage. À la Libération, les gens étaient évidemment contents d’être libres mais beaucoup vivaient dans la peine, car des familles entières ont été décimées”.

MAX

“Pendant la guerre, j’habitais avec mes parents dans une maison près de Salon-de-Provence.
Un jour, deux Allemands sont arrivés et l’ont occupée. Au quotidien, ils me demandaient de les réveiller, de les accompagner dans le village, de leur rendre des services. Tout le monde me connaissait et les gens commençaient à me regarder de travers en pensant que j’étais un collabo. Alors j’ai fui, je suis parti pendant deux ans travailler dans une ferme en Corrèze avec ma famille. En 1944, grâce à mon petit poste radio, j’ai entendu parler des combats qui avaient lieu autour de Salon au moment de la Libération. J’ai décidé de rentrer chez moi, mais mes parents sont restés là-bas, alors je me suis débrouillé comme j’ai pu tout seul pendant deux ans.”

ALBERTE

Mon souvenir le plus marquant de la période de la Libération ? Eh bien, c’est le jour de la Libération lui-même ! C’était quelque chose d’inouï ! Nous, on était gosses, on sortait les drapeaux français qu’on avait accrochés au bout d’un bâton et on courait avec. Les femmes s’habillaient en bleu, blanc et rouge, et je me souviens des jeunes femmes de 18-20 ans qui montaient à bord des camions pour embrasser les soldats. On nous distribuait du chocolat, et pour ma part, je n’en avais jamais mangé. C’était la fiesta !