Douce ascension vers la Fenêtre du Foussa...
L'hiver n'a pas de prise sur la Venise Provençale. Du coup, fin janvier, la ville aux portes de l'étang devient capitale des boules. Rêverie d'un terrain à l'autre, par-delà canaux et ruelles...
Rognes, étrange et paisible lieu baigné d'un climat particulier... D'un relief assez doux émerge un promontoire qui domine les lieux. C'est le Foussa, appellation directement inspirée du verbe provençal «foussa» qui signifie creuser des fosses. Elle semble prendre ici tout son sens lorsque l'on voit que les concrétions de mollasse calcaire du Foussa ont été améliorées, façonnées, pour finalement être aménagées en habitats troglodytes dont il subsiste de beaux spécimens.
Mais on dit également que le nom désignait plutôt le fossé séparant les ruelles de la citadelle. Qu'importe car le Foussa offre d'autres enseignements...
Ainsi donc, à l'origine, la fameuse pierre de Rognes n'était pas découpée, taillée, mais simplement refaçonnée sur place, dans son bloc qui lui-même servait, si l'on veut, de bâtiment.
A part de rares pans de murs maintenus à une hauteur sécurisante, cet habitat troglodyte représente à peu près tout ce qui reste du vieux village tel qu'il était avant qu'il ne fut détruit par le terrible tremblement de terre de 1909.
Prenante étrangeté...
C'était le 11 juin. Le drame avait commencé dans l'après-midi avec des secousses moindres, mais la phase paroxysmique allait vers 21 heures causer de terribles et irréparables dégâts. Le séisme atteignit 9 à 10 sur l'échelle de Mercali, ou 5,6 à 5,8 sur l'échelle de Richter.A l'époque, le nombre des victimes fut limité, femmes et hommes étant occupés aux travaux des champs. Sans doute sont-ce les stigmates de ce drame qui confèrent à la visite du vieux Rognes et à la courte ascension du Foussa cette étrangeté si prenante, enveloppante.
Au départ : la place de l'Hôtel de Ville avec sa délicate fontaine assemblée de belles pierres taillées vers 1735. Ici, en quelque sorte, commence la courte montée, sous un long et gracieux balcon forgé.
Il y a d'abord l'intime place Malvito, puis la rue de l'église, la bien nommée puisqu'elle frôle Notre Dame de l'Assomption datée de 1607 et construite à l'époque hors de la petite cité dont on l'adossa au rempart, qui servit ainsi de mur nord. Même utilisation judicieuse pour l'une des sept tours d'alors, sur laquelle s'appuya le clocher.
Deux petits plateaux étagés, avec vue sur la contrée...
Deux petits plateaux étagés, avec vue sur la contrée... Le pied du Foussa, hérissé de pins, d'oliviers, de chênes et de grands asparagus n'est pas loin. Rue Neuve, sur la droite, en délaissant de beaux porches marqués d'escaliers tournant sous les anciens immeubles, charmante place du 14 juillet puis avenue du Cegarès sur la gauche et, tout de suite encore à main gauche, par une assez peu large voie encore aménagée d'un antique pavage malheureusement meurtri et envahi de végétation.
Ici et là subsistent les fameux pans de murs, témoins muets de la catastrophe. Au-dessus, allant plus haut vers le sommet du Foussa, c'est dans la légende des siècles que plonge le promeneur, longeant tout d'abord une grotte aménagée avant de serpenter dans un amas de roches dégringolées.
Etonnante surprise : un visage de femme est gravé dans un grand cercle, à flanc de falaise. Il s'agit, assure-t-on, du plus grand exvoto du monde, offert à la Vierge par les Rognens en reconnaissance d'avoir moins souffert qu'ailleurs des méfaits de la seconde guerre mondiale.
Encore quelques pas, une montée plus rude sur la gauche et voilà le sommet du Foussa, merveilleux petit plateau flanqué du célèbre pan de mur à la Fenêtre et depuis lequel on peut jouir d'une incomparable vue sur la contrée : sur la Chaîne de La Trévaresse à l'est, sur celle des Côtes à l'ouest, et audelà, de la Durance, sur les contreforts Sud du solide et trappu Lubéron.
Le plateau, ou plutôt les petits plateaux du Foussa, car ils sont deux à peine étagés. Couverts d'une précieuse prairie, ils invitent au repos, à la méditation.
Quelques pierres taillées éparses contribuant à raconter l'histoire sont pour beaucoup dans le fait que chacun se met ici à rêver.
A quoi ? Au passé bien sûr... Celui d'avant le tremblement de terre quand les roues des charrettes grinçaient dans les calades. Ou plus loin encore, avant le démantèlement de la citadelle ordonné par Henri IV, quand de violentes batailles opposaient protestants, ligueurs et royalistes.
Ici le soldat gascon et félon La Salle aurait joué le capitaine-tyran durant deux années avant que le vaillant barbier Cadet ne le précipite d'une hauteur de trente mètres.
Ainsi naquit la légende de la fenêtre du Foussa. Elle fait partie de ces histoires exceptionnelles que garde en lui le visiteur après son départ de Rognes... !
Paul Teisseire